Tout d'abord, le Death row ou le couloir de la mort. Notre première étape dans cette immense domaine qu'est la prison d'Angola. En tant qu'étudiants de la fac de droit nous avons le droit de visiter certaines parties de la prison qui ne sont normalement pas montrées à tous les visiteurs. On nous propulse donc directement dans le quartier le plus sécurisé de la prison: le quartier des condamnés à mort. Actuellement 88 condamnés sont incarcérés dans ce quartier, mais il n'y a pas eu d'exécution depuis plus de 4 ans. Le constitutionnalité de l'injection létale utilisée pour les exécutions est remise en cause actuellement en Louisiane (non, non, pas la constitutionnalité de l'exécution..ça ça ne pose pas de problème..) et les exécutions sont donc de manière informelle suspendues. Les prisonniers sont dans des cellules individuelles, on nous fait marcher le long des cellules, les prisonniers sont calmes, ils lisent, jouent aux échecs, regardent la télé...et j'ai du mal à respirer, à regarder dans les yeux ces prisonniers qui un jour seront exécutés par leur système judiciaire. Je ne vois pas comment on peut regarder ces êtres humains et en même temps être favorable à la peine de mort. Je sais que dans le groupe certains américains ne pensent pas comme moi, j'espère que cette visite bouscule un peu leurs idées.
On nous fait ensuite visiter les cuisines du quartier de haute sécurité, en nous expliquant comment les moindres ustensiles sont comptés chaque jour: balais, cuillères, et même la levure qui pourrait être utilisée pour se rendre malade. Contrairement à ce à quoi je pouvais m'attendre, je trouve que les conditions d'hygiène sont très correctes.
Puis nous reprenons le bus pour nous rendre vers le quartier général de la prison. On passe devant l'enceinte du
rodéo auquel j'avais assisté en octobre. On arrive enfin au quartier général, ici sont enfermés des prisonniers avec de lourdes condamnations mais dont le comportement est correct. A Angola, la plupart des prisonniers sont condamnés à vie (durée moyenne des peines: 88 ans), et les rares personnes qui ont des peines inférieures sont arrivées à Angola en raison de leur mauvais comportement dans une autre prison. Sur 100 prisonniers qui arrivent, seulement 10 peuvent espérer sortir un jour vivant de Angola. Voilà, le décor est planté, et le guide aura beau nous vanter à tort et à travers les vertues de leur programme de réhabilitation, j'ai du mal à y croire, en sachant que ces prisonniers n'auront jamais la chance de retourner chez eux.
Le quartier général est composé de différentes baraques, les prisonniers dorment dans des dortoirs d'environ 40 personnes. Je ne savais même pas que cela pouvait encore exister, si peu d'intimité me choque. Malheureusement, de ces dortoirs nous ne verront que des photos et l'extérieur des bâtiments. C'est mon seul regret de la visite.
Nous sommes ensuite guidés vers la bibliothèque de droit. Pour moi, le moment le plus fort de cette visite. Nous avons la chance de pouvoir discuter avec 4 prisonniers qui après avoir appris d'eux même le fonctionnement du système juridique ainsi que le droit, ont été nommés assistants juridiques pour les autres prisonniers. Ils sont payés 20 centimes de l'heure, pour un maximum de 40 heures par semaines, soit8$ par semaine. En réalité, ils sont dévoués à leur travail plus de 15 heures par jour, 7 jours sur 7. Ils passent leur vie dans cette bibliothèque de droit, et tentent de défendre des cas que personne ne veut défendre ici: appel criminel, accident au sein de la prison, divorce, héritage... Ils nous expliquent comment ils doivent se battre pour gagner la crédibilité que nous avons d'office et qu'ils n'ont pas devant les juges en travaillant deux fois plus que nous afin de rendre des conclusions plus que parfaites. Ils nous racontent comment les avocats commis d'office ne font pas ce travail là, et sont malheureusement responsables de l'emprisonnement de nombreux innocents. Ils nous assurent que 10 années derrière les barreaux changent un homme, et que cela suffit amplement. Ils nous demandent de faire notre métier avec passion, afin de le faire le mieux possible. Ils nous parlent de leurs victoires devant les tribunaux, coupures de presse à l'appui, affichées sur le tableau de la bibliothèque et on sent que ces victoires ont demandé des heures et des heures de travail. Ils nous parlent aussi des problèmes de rétroactivité de la loi, de nouvelles réformes dont personnes parmis nous n'a connaissance...et nous réalisons à quel point un diplôme ne vaut rien. Ces hommes n'ont pas de diplômes, ils ne seront sûrement jamais avocats, personne ne leur financera la fac de droit, et puis de toute façon, qui sait si un jour ils sortiront? Mais quand ils parlent de leurs batailles juridiques, on sait de suite qu'ils sont parmis les meilleurs avocats de cet Etat, et que leur maîtrise du système est même enviée par les autres avocats. Alors quand en plus ils nous expliquent qu'ils n'ont que 4 ordinateurs reliés à une des
bases juridiques dont je vous avais parlé il y a quelques mois, je suis choquée. Etre la cible d'une bataille marketing est une chose, mais réaliser que sans le vouloir, et sans même en avoir besoin on dispose de dix fois plus que des personnes qui manquent cruellement de ressources juridiques m'écoeure. A moi toute seule, j'ai accès à deux énormes bases de données en ligne, avec impression illimitée de tous les documents gratuitement. A Angola, pour 5,000 prisonniers, ils ont 4 ordinateurs, une base de données sur CDROM, donc non mise à jour, et chaque impression d'un arrêt a un coût qu'il faut limiter au maximum. Ne cherchez pas la logique.
Je retiens tout de même que notre guide reste silencieux dans un coin, il n'intervient pas, il ne guide ni les questions, ni les réponses, il laisse la parole à ces hommes, il leur fait confiance. J'apprécie ce moment de partage direct.
Nous quittons ensuite le quartier général pour entrer dans le quartier disciplinaire. Là sont enfermés les prisonniers dont le comportement est jugé dangereux. La disposition des cellules est similaires à celles des condamnés à mort. De même on nous fait marcher le long des cellules...même ambiance lourde que précédement. Seule différence, à titre de punition, ces condamnés là n'ont pas droit au même repas que les autres. Enfin si, le menu est le même mais les aliments sont mixés tous ensembles et frits pour ressembler à un espèce de cube dégueulasse qui aujourd'hui comprenait donc des pates, du pain et des haricots...J'aime ce genre de traitement inhumain..
Nous reprenons ensuite la route pour aller déjeuner. On passe devant le golf de la prison, entièrement entretenu par les détenus, construit à l'origine pour la distraction du personnel et depuis entièrement ouvert au public. Si un jour ça vous dit un ptit golf en Louisiane, autant que ça soit pittoresque...et puis c'est seulement 10$...
On arrive ensuite à un jolie maison en bois. Devant la maison, sont parqués de nombreux bâteaux. Le territoire de la prison est bordé sur trois côtés par le Mississippi, en cas d'évasion il est donc nécessaire de pouvoir contrôler les eaux. Sur la coque d'un des bâteau, le nom en dit plus qu'il n'en faut: " Got Ya" (je t'ai eu).
On nous sert ensuite à déjeuner. C'est la grande classe: service à table par des prisonniers...là sérieux je me sens mal...Mais bon, j'essaye de me souvenir des remarques du guide: "les meilleurs trustees (les condamnés auxquel on fait confiance et à qui on accorde le plus de liberté) sont des tueurs, parce que le meurtre est un acte de passion, un acte unique, tandis que le vol est organisé". Tout va bien, un meurtrier est en train de me servir une tarte aux fraises...respire Claire...respire....
Puis quelques minutes de détente sur la terrasse au soleil dans les rocking chairs fabriquées par les prisonniers.Qui aurait imaginé un jour "to rock in a prison"...
Une fois le ventre bien rempli on passe devant l'élevage de chiens, utilisés en cas d'évasion, mais également pour chercher de la drogue. Enfin, si j'ai bien compris, ce ne sont pas vraiment des chiens. Ce sont plutôt des loups, alors attention au derrière..
On passe également devant le cimetière. En effet, si les familles des détenus n'ont pas les moyens de rapatrier le corp, la prison organise un enterrement à l'intérieur même de son enceinte. Le système des fosses communes a été abandonné, et chaque prisonnier est enterré dans un cercueil. La religion est présente à chaque instant à Angola, on croise des chapelles à chaque coin de route, les détenus peuvent faire des études théologiques, le directeur de la prison (Warden Cain) prêche lors des cérémonies religieuses et tient à expliquer personnellement à chaque condamné à mort la vie de Jesus, afin "de lui ouvrir les portes"...
Bref, c'est toujours un peu difficile à concevoir quand on a été élevée dans un pays laïc, mais c'est tout simplement normal aux Etats-Unis.
On se rend ensuite à l'élevage de chevaux. Angola est extrement célèbre pour son rodéo, qui a lieu deux fois par an. Mais le rodéo fait partie du programme de réhabilitation de Cain (Cain's redemption). Non seulement il occupe les prisonniers durant la journée (si vous faites travailler les prisonniers le jour, ils dormiront la nuit), mais il permet d'accueillir de nombreux visiteurs tous les ans. Cain avait en effet promis à ses prisonniers en prenant ses fonctions "d'amener le monde" à eux. Donc en plus de ces visites un peu "spectacle", Angola est la prison la plus ouvertes aux journalistes et aux visiteurs de tout les Etats Unis. La plupart des lycéens de Louisiane ont donc tous déjà visité Angola et je suppose que si vous venez un jour en Louisiane, vous pouvez vous organiser une petite journée en prison.
Puis on passe devant les bâtiments agricoles, les champs à perte de vue. Les prisonniers cultivent les fruits et légumes et céréales dont ils ont besoin, ils sont payés 2 centimes de l'heure.... Ils élèvent aussi du bétail. Mais étant donné qu'une loi de Louisiana interdit aux prisonniers de manger de la viande de boeuf "premier choix", les animaux d'Angola sont vendus à l'extérieur, et le produit de la vente est utilisé pour racheter de la viande de mauvaise qualité. No comment..
On achève enfin la visite par la salle d'exécution. Difficile à décrire, c'est un peu surréaliste... On se retrouve à quelques centimètre d'un lit sur lequel de nombreuses personnes ont été exécutées, c'est difficile à croire, j'ai plus des images de cinéma dans ma tête qu'autre chose. Un micro est installé afin de permettre au prisonnier de parler à la famille de la victime jusqu'au dernier moment. Apparement, des excuses de dernière minute sont plutôt rares et l'on ne retiendra que cette phrase d'un condamné: "dîtes à mon avocat qu'il est viré"...
Voilà, la visite s'achève bien évidemment comme dans tout monument américain par le musée et la boutique de souvenirs. Nous serons restés tout de même près de 5 heures dans l'enceinte d'Angola et même si je sais que nous n'avons pas tout vu, et que nous n'avons vu que ce que l'on a bien voulu nous montrer, je suis tout de même très satisfaite de cette visite. Notre guide, un des responsables de la prison a répondu à toutes nos questions, sur tous les sujets, vol, violence, suicide, gangs, place des musulmans...bref, il s'agit bien évidemment d'une opération de publicité, où l'on tient à nous vanter le travail accompli par Cain depuis qu'il a repris les rennes de cette prison, réputée auparavant pour être l'une des plus violentes des Etats Unis. Mais après tout, c'est déjà beaucoup plus transparent que n'importe quelle prison française.
PS: non, j'ai pas vu Michael...il paraît qu'il est à Panama...